William repoussa d’un doigt les lunettes sombres sur son nez. Il était temps, la porte allait s’ouvrir, il ne pouvait plus attendre. Il était William, Willi, Will, Bill, Pile, Deal, Kill ! Ohoh, oui, il était l’heure, son heure de gloire, l’heure d’entrer en scène. Les pans d’acier grincèrent en coulissant, dévoilant à ses yeux impatients le sable blanc et les projecteurs de la grande arène. Ses doigts tremblèrent d’excitation alors que son cœur fit plusieurs bonds au fond de sa poitrine. Il aimait cette sensation, les premiers pas dans le silence macabre de la pièce – du moins si l'on pouvait appeler cela une pièce. Il s'imaginait les applaudissements qu'il n'y avait pas, tout en fixant les caméras. Personne n'était présent, non, c'était bien trop dangereux pour qu'il y ait qui que ce soit. Ils regardaient de loin, admiraient les combats sur leurs écrans. Parce que, oui, il s'agissait bel et bien de combats. Les Survival Game, comme il aimait à les appeler. Et celui-là allait tout juste commencer. Déjà son adversaire entrait, les doigts crépitant d'électricité. Mais il était William Page, le seul et unique Survivant, il avait toujours gagné et il n'était pas question de perdre. Un rire dément s'échappa de sa gorge, venant caresser le dôme avant de retomber sur l'apeuré qui faisait ses premiers pas dans l'arène. Mais lui était habitué, il avait été le premier à fouler le sable, à faire couler le sang. C'était son arène. Le blond s'entailla l'avant-bras, du coude jusqu'au poignet, et laissa le liquide chaud couler sur le sable blanc. Le sol trembla un instant, puis les grains vermeils s'élevèrent autour de William. Le combat pouvait commencer.

~
Alek’sandre enfourna un mikado dans sa bouche, le regard fixé sur le portail de l’Académie. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua sept heures cinquante-neuf tapantes, le deux septembre deux mille treize. Il était temps de faire ce pour quoi il avait été appelé, invité même, et ce pour quoi il serait bientôt payé. Ce n’était pas si déplaisant que ça, à bien y penser. Il n’avait jamais été professeur, et ne s’était jamais imaginé en devenir un, un jour. Enfin, il n’était plus temps d’y penser, la cloche venait de sonner huit heures, et déjà le grand portail s’ouvrait pour la nouvelle année scolaire qui débutait. Tous ces jeunes qui foulaient le bitume de l’Académie pour la première fois, étaient certainement loin de s’imaginer ce qu’allait être leur année. Et lui non plus d’ailleurs. Ils avaient mis trois ans à construire cette Académie, et maintenant que c’était fait, il espérait bien que les choses avanceraient plus vite. Il n’aimait pas l’idée de devoir se cacher dans l’ombre de l’humain qu’il n’était plus – d’après certains – mais il n’avait pas le choix, personne n’avait le choix. Croyez bien qu’il aurait adoré pouvoir utiliser son pouvoir de "monstre" pour libérer ceux qui avaient été mis en cage, comme des bêtes, et sur lesquels le gouvernement se donnait un malin plaisir de faire des expériences. Mais ce n’était de toute façon pas avec un seul homme que l’on renversait le cours des choses. Il le savait, et c’était bien pour cela qu’il avait été appelé. Ils se devaient tous d’aider les "mutants", de leur donner un toit sécurisant, et un endroit où ils ne seraient pas maltraités. Ils devaient également les préserver de la perversité du monde, les préserver du laboratoire… Alek’sandre desserra le poing, conscient en cet instant qu’il venait d’écraser les derniers mikados dans la boite. Quel idiot pouvait-il être... « Monsieur Stark. » Il se détacha de la fenêtre, observant un instant la brune qui ne sortait qu’à moitié de l’entrebâillement de la porte. Faisait-il si peur que cela pour qu’elle ne veuille pas avancer jusqu’à lui ? Il n’en avait pourtant pas l’impression, au vu de la rougeur de ses joues. « Le directeur vous fait appeler. » Elle s’esquiva presqu’instantanément, laissant derrière elle une légère odeur de miel qui plut particulièrement au brun. Les choses sérieuses allaient commencer. Et la nouvelle année amenait avec elle son petit lot de problèmes.

~
Dorothy défit un à un les boutons de sa blouse, s’accordant un soupir de soulagement alors qu’elle avait enfin droit à une pause. Elle avait veillé les deux derniers jours en salle de garde la nuit, tout en devant assumer ses expériences en laboratoire le jour. Et si l’idée de disséquer des soit disant monstres ne lui plaisait guère, elle n’avait pas le pouvoir de cesser. On l’avait choisie et amenée ici. Elle n’était finalement pas plus libre que ces cobayes, à ça près que des barreaux ne fermaient pas la porte de sa chambre. Au moins avait-elle la permission de voir la lumière du jour, et de prendre un peu de recul sur son travail. Quelques heures seulement. Il lui fallait aussi rallier l’Académie pour avoir un rapport des scientifiques y travaillant en tant que professeurs, dans l’espoir de découvrir l’intelligence de certains élèves. Tout ceci pour des expériences secrètes, sur des hommes dont le monde ne connaissait même pas l’existence. Elle savait le gouvernement pourri jusqu’à la moelle, mais elle avait été bien étonnée que ça soit à ce point-là. Maintenant, elle devait obéir, et bien que l’idée de découvrir une évolution du genre humain semblât alléchante, elle n’aimait guère regarder des hommes pleurer derrière des barreaux, et finir par devenir fous. « Doty. On a besoin de toi, un problème en cellule 00. Dépêche-toi. » La cellule 00… Trois ans qu’il était enfermé dans cette cellule, à cultiver la folie de son esprit dans sa solitude. Ils avaient bien essayé de l’enfermer avec un autre, mais le résultat n’avait pas été joli. Il n’aimait la présence de personne d’autre que la sienne et celle de… Doty. Elle ne savait pas comment c’était arrivé, mais il s’était attaché à elle, et elle était désormais la seule à pouvoir l’approcher, à pouvoir le calmer. Faisait-il exprès de s’énerver pour son seul jour de congé ? Un bruit assourdissant annonça l’ouverture de la cellule. Dorothy s’avança les mains dans les poches de sa blouse, ses talons claquant sur le sol à chacun de ses pas. « Qu’y a-t-il cette fois, William ? » Alors qu’elle aperçut dans la pénombre, les yeux brillants se lever vers son visage, elle vérifia rapidement qu’il n’y avait aucune trace de sang dans la pièce. Un regard à la caméra suffit à la fermeture de la porte. « Doty… Je l’ai cassé. Il est cassé ! Le stylo que tu m’as donné… » Un léger sourire aux lèvres, Dorothy s’accroupit devant William et attrapa ses mains. Elle ne quitta pas des yeux le pauvre homme quelques instants, s’affligeant du regard qu’il avait maintenant comparé à celui qu’il avait en arrivant. « Voilà, c’est réparé maintenant. Ne l’emmène plus pour les jeux. Accroche-toi, tu pourras bientôt sortir, Will. » Il fallait contacter le Directeur au plus vite. Elle ne pouvait plus supporter le mal qu’ils leur faisaient. Elle lança un dernier coup d’œil dans la cellule 00, constatant alors qu’il aurait été moins terrible qu’il soit tué. Même s’il sortait d’ici vivant, il passerait certainement le restant de ses jours interné. Il était temps de mettre au point un plan d’évasion à grande échelle, elle ne pourrait pas cacher sa condition éternellement. Il fallait faire au plus vite.